Esprit critique – Faut-il investir dans une épargne-pension ?

Flog

1. Introduction

En 2022, je m'étais posé la question suivante suite à une conversation avec un ami: Devrais-je investir dans un plan d'épargne-pension ?

Celui-ci m'avait en effet expliqué qu'en Belgique, investir dans un plan d'épargne pension permettait d'obtenir 30% d'abattement fiscal chaque année, un no brainer. A priori cela me paraissait donc effectivement intéressant par rapport aux taux bancaires actuels. Par ailleurs, un autre argument de cet ami était que cela permettait de diversifier ses investissements. Enfin, vu le plafond de l'avantage fiscal, un tel plan d'épargne ne permet de verser que 990€ par an, soit 82,5€ par mois, ce qui paraît vraiment abordable comme investissement.

J'étais donc initialement convaincu par cet investissement et je pensais que ma recherche allait simplement se résumer à trouver l'institution financière présentant les taux plus avantageux pour un plan d'épargne-pension à taux fixe.

2. Une première analyse naïve

En me renseignant sur le régime de ce fameux plan d'épargne pension, un premier point m'a fait froncer les sourcils: lorsqu'un épargnant atteint l'âge de ses 60 ans, l'état belge taxe le montant de son épargne-pension à un taux de 8%. Je trouve cela surprenant et injuste, puisque en tant que personne physique si l'argent que nous investissons dans une épargne-pension provient de notre salaire, cet argent a déjà été taxé via le précompte professionnel. Il s'agit donc d'un cas flagrant de double taxation.

Je décidais donc de réaliser une simulation sur un tableur afin de voir comment cette taxation impacterait le rendement de l'investissement, mais également de manière à pouvoir intégrer les différents frais liés à un plan d'épargne-pension. En 2022, j'ai donc effectué une simulation en utilisant les conditions en vigueur dans une institution financière qui offrait un des meilleurs taux sur le marché.

Voici les différents paramètres utilisés pour ma simulation:

Exemple: La première année, je transfère 990€ sur mon compte épargne-pension. L'institution financière retient 4% de frais d'entrée, j'ai donc 950,40€ net sur mon compte. Ce compte me rapporte 0,58% d'intérêts annuels, cependant les frais gestion sont de 0,18%. Mon intérêt net annuel est donc de seulement 0,40%. Au bout d'un an, j'ai donc 950,40 + 3,80 = 954,20€ sur mon compte. Pour cette année d'imposition, l'état m'octroie un avantage fiscal de 297€. Tout se passe donc comme si je n'avais payé que 693€ pour en avoir 954,20€ sur mon compte, et réalise donc un bénéfice net de 261,20 €.

Un autre point primordial de l'épargne-pension c'est la durée de cette épargne. En effet, lorsque l'on se lance dans une épargne-pension, nous ne pouvons retirer le montant avant l'âge de 60 ans, sous peine de subir une importante pénalité qui défait le but d'une épargne-pension. Passé 60 ans (et la taxe unique de 8%), nous pouvons retirer librement le montant ou continuer à épargner jusqu'à l'âge maximum de 65 ans.

Pour ma simulation, je considère donc un épargnant qui commence son épargne à 30 ans et cotise jusqu'à ses 65 ans, soit 35 ans d'épargne. Si l'on réalise la simulation, nous nous retrouvons au terme de l'épargne-pension avec les montants suivants:

Années d'épargne Versements cumulés Versements nets cumulés Montant sur le compte à terme Plus-value Rendement non actualisé
35 34 650 € 24 255 € 33 226 € 8 917,92 € 36,77 %

Les versements cumulés correspondent aux 35 versements de 990 € sur le compte épargne-pension, tandis que les versements nets cumulés correspondent à 70% des montants versés afin de tenir compte de l'abattement fiscal (c'est-à-dire 990 € × 35 × 0,7). La plus-value est ainsi obtenue par la différence entre le montant sur le compte au bout de 35 ans et les versements nets cumulés (33 226€ - 24 255 €). On notera d'ailleurs que la somme des 35 versements (34 650 €) est inférieure au montant qui se trouve sur le compte au bout de 35 ans (33 226 €) et ce à cause des frais, du faible intérêt et de la taxe gouvernementale. Si l'épargne-pension affiche un rendement, c'est donc uniquement grâce à l'abattement fiscal.

Nous obtenons donc un rendement de 36,77% mais ne nous réjouissons pas trop vite, car il s'agit bien d'un rendement non actualisé.

3. Une seconde analyse moins naïve

Il manque néanmoins un élément essentiel à notre analyse: la prise en considération de l'inflation. En effet, une des premières choses que l'on apprend en finance c'est qu'à cause de l'inflation, 1€ l'année prochaine vaut moins que 1€ aujourd'hui. Pour comparer des flux financiers futurs, il est donc nécessaire de les actualiser, c'est-à-dire de les convertir en un montant équivalent à la valeur actuelle de l'argent.

Mais quel taux d'actualisation utiliser ? En recourant aux données de StatBel1, il est possible de calculer le taux d'inflation annuel moyen en Belgique par rapport à une année de référence. En prenant 1988 comme année de référence (35 années plus tôt), cela donne le taux d'inflation annuel moyen suivant:

Taux d'inflation annuel moyen de 1988 à 2023
2,3%

Étant donné qu'en Europe la mission de la Banque Centrale Européenne est de maintenir un taux d'inflation de 2%, ce taux paraît raisonnable. J'utiliserais donc ce taux (r = 2,3%) afin d'actualiser les différents versements nets ainsi que le montant du compte épargne-pension à terme.

Concernant les versements nets, c'est-à-dire les différents versements diminués de l'avantage fiscal, il convient de les actualiser par rapport à l'année où ils sont versés.

Exemple : La première année, le versement net est de 693€, la deuxième année, il est de 677,42€ (693€ actualisé à 2,3% durant un an), la troisième année, il est de 662,19€ (693€ actualisés sur 2 années), etc.

La somme de tous les versements nets actualisés est donc donnée par la formule suivante:

formula

Concernant le montant de l'épargne-pension, c'est encore plus simple, il suffit d'actualiser le montant final durant 35 années :

formula
Années d'épargneIntérêt netTaux d'actualisationVersements nets cumulés et actualisésMontant sur le compte à terme actualiséPlus-valueRendement
350,40%2,3%16 916,42€14 991,42€-1925€- 11,38%

Et que voit-on après actualisation ? Que le rendement devient négatif ! D'après cette analyse, la question d'investissement devient donc: Suis-je prêt à bloquer de l'argent durant 35 ans pour faire une perte de 11,38% ?. Et la réponse est évidemment sans appel: non.

4. Sensibilité aux paramètres

Après ce résultat étonnant, je m'interrogeais sur la manière dont les paramètres utilisés impactaient le rendement.

Tout d'abord, je me demandais quel était le taux d'intérêt net au-delà duquel l'investissement deviendrait rentable. En utilisant un solveur, je tombais sur la valeur suivante:

Taux d'intérêt net critique
1,05%

Cela signifie que tous les autres paramètres étant égaux par ailleurs, un intérêt de 1,05% permet d'obtenir un rendement nul. Et qu'avec un taux d'intérêt plus élevé, l'investissement devient rentable. Entendu que nous sommes maintenant en 2023 et que j'avais effectué ma simulation en 2022, j'étais curieux de savoir si les taux avaient évolués. Et effectivement, je trouve maintenant un taux d'intérêt fixe de 1,60%, soit un taux d'intérêt net de 1,60% - 0,18% = 1,42%.

Années d'épargneIntérêt netTaux d'actualisationVersements nets cumulés et actualisésMontant sur le compte à terme actualiséPlus-valueRendement
351,42%2,3%16 916,42€18 139,78€+1223,36€+7,23%

Comme prévu, l'investissement devient rentable car le taux est supérieur à 1,05%. Notons donc l'importance primordiale du taux de rendement garanti lorsque l'on signe un contrat d'épargne-pension. Mais si l'investissement est théoriquement rentable, il convient de toujours se poser la question d'investissement de manière critique: Suis-je prêt à bloquer de l'argent durant 35 ans pour faire un gain de 7,23% ?. Ici, c'est à chacun de se positionner en fonction de sa situation.

Malgré tout je souhaiterais ici mettre en évidence le plus gros défaut de l'épargne-pension: l'argent que l'on investit dans une épargne-pension est en pratique bloqué jusqu'au terme à cause des pénalités qu'impliquerait un retrait anticipé. On perd donc toute flexibilité par rapport à l'état du marché. Si les taux d'intérêts ou l'inflation changent, il est impossible de réagir en réallouant son investissement.

À ce propos, on n'oubliera également pas que si un taux d'inflation moyen passé peut être utilisé comme prédicteur du taux d'inflation moyen futur, cela ne garantit évidemment pas ce taux d'inflation futur. Compte tenu de la durée de l'investissement, il est donc très difficile de savoir quels seront les taux d'inflation dans le futur (je pense notamment à l'année 2022 où nous avons connu une inflation record de 10,3%2). Il serait donc rassurant d'avoir un rendement permettant de faire face à une hausse potentielle de l'inflation.

Avec un taux d'intérêt de 1,60%, il suffit d'un taux d'inflation moyen de 2,65% pour annuler le rendement de 7,23% que l'on trouvait précédemment. En d'autres termes une hausse de 0,35% du taux d'inflation (de 2,30% à 2,65%) compense la hausse de 0,37% de taux d'intérêt (de 1,05% à 1,42%) par rapport au seuil de rentabilité.

Ensuite, on peut se demander quel est l'impact du nombre d'années d'épargne sur le rendement de l'investissement. La réponse est simple : plus on démarre tôt et moins le rendement est bon. La raison est que d'une part, plus l'investissement est long et plus l'inflation impacte le montant final et que d'autre part, la taxe gouvernementale frappe alors une plus grosse proportion de l'épargne.

Voici le résultat d'une simulation d'un épargnant démarrant son épargne-pension à 20 ans et permettant de constater que le rendement a drastiquement diminué:

Années d'épargneIntérêt netTaux d'actualisationVersements nets cumulés et actualisésMontant sur le compte à terme actualiséPlus-valueRendement
451,42%2,3%19 745,02€20 024,44€+279,42€+1,42%

Exit donc l'idée propagandée selon laquelle il convient de démarrer son épargne-pension le plus tôt possible.

Enfin, il existe également une seconde formule d'épargne-pension permettant de cotiser maximum 1270€ par année pour une réduction d'impôt de seulement 25%. Étant donné que le rendement de l'épargne-pension provient essentiellement de la réduction d'impôt, le rendement de cette formule est donc pire que la première (-17,29% à la place de -11,38%). Fuyez !

5. Comparaison avec un compte d'épargne classique

Comparons maintenant le rendement de cette épargne-pension avec un compte d'épargne classique. Comme taux d'intérêt, j'utiliserai un taux de 2,55% (taux de base + prime) qu'il est possible de trouver sur le marché actuel. En imaginant une épargne équivalente de 990€ par an durant 35 ans, j'arrive au résultat suivant :

Années d'épargneIntérêt netTaux d'actualisationVersements nets cumulés et actualisésMontant sur le compte à terme actualiséPlus-valueRendement
352,55%2,3%24 166,32€25 401,05€+1234,73€+5,11%

Certes, le rendement est légèrement moindre que celui de l'épargne-pension sur le marché actuel (5,11% < 7,23%). Cependant l'immense avantage est que nous pouvons à tout moment disposer du montant, notamment pour réagir aux conditions du marché, la seule pénalité étant la perte de la prime durant une année.

6. Avis critique

Après cette analyse, je souhaiterais maintenant exposer mon opinion critique sur le sujet.

La première fois que j'ai effectué cette simulation d'actualisation d'une épargne-pension, j'ai été particulièrement surpris par le résultat. D'autant plus surpris que les paramètres que j'avais utilisés pour la simulation étaient les meilleurs que j'avais pu trouver en 2022. J'avais revérifié plusieurs fois mes calculs et pourtant j'arrivais toujours à la même conclusion avec les taux d'alors: investir dans une épargne-pension fait perdre de l'argent et il s'agit donc d'un mauvais investissement. Le constat est évidemment terrible.

Terrible tout d'abord parce que la croyance commune est qu'il est intéressant d'investir dans une épargne-pension. Je suis d'ailleurs complètement abasourdi de n'avoir jamais entendu personne donner un avis contraire à ce sujet, et ce alors même qu'il suffit de savoir se servir d'un tableur et d'avoir des notions élémentaires de finance afin de pouvoir répliquer l'analyse que j'ai effectuée plus haut.

Terrible ensuite, car cela confirme une intuition générale que j'ai vis-à-vis de la finance qui est que les produits financiers destinés au plus grand nombre sont de mauvais produits financiers. De surcroît, on notera d'ailleurs le mécanisme de double taxation appliquée par l'état à l'épargne-pension, qui est tout aussi révoltant.

Terrible enfin par la disparité entre les avantages que retirent les institutions financières et les désavantages pour l'épargnant. En effet l'épargnant se retrouve avec de l'argent verrouillé sur un compte en banque jusqu'à ses 65 ans. Pour un épargnant qui démarre son épargne entre 20 et 30 ans, cela signifie de l'argent immobilisé durant 35 à 45 années, et ce pour un taux d'intérêt minable. Or la contrepartie pour les institutions financières est énorme: même si les montants sont limités, étant donné que tout le monde est incité à constituer une épargne-pension, les banques se retrouvent avec un capital important sur leur compte. En raison des conditions de l'épargne-pension, elles ont la quasi-certitude que les épargnants ne retireront pas leur argent avant le terme, ce qui leur permet d'effectuer des investissements à long terme et d'engendrer des bénéfices.

Vue sous cet angle, l'épargne-pension revêt pour moi toutes les caractéristiques d'une arnaque de masse profitant de l'ignorance des gens.

Conclusion

Si les taux plus hauts en 2023 ont quelque peu tempéré cette analyse défavorable, ma conclusion reste la même : tant que les banques ne nous offrirons pas des taux plus intéressants, et l'état des conditions plus favorables (la suppression de la taxe gouvernementale à 60 ans par exemple), une épargne-pension me semble être un très mauvais investissement. Alors arrêtons d'investir dedans et espérons que ce boycott fera bouger les choses.

Références

1. StatBel, Prix à la consommation à partir de 1920 et indice santé à partir de 1994, https://statbel.fgov.be/fr/themes/prix-la-consommation/indice-des-prix-la-consommation#figures 2. SPF Économie, Inflation record en Belgique en 2022, https://news.economie.fgov.be/222763-inflation-record-en-belgique-en-2022