Le sexisme au cinéma – Love Actually

Flog

1. Introduction

Il y a quelques mois, je revoyais le film Love Actually. Cependant lors du visionnage, j'avais été interpellé par les rôles donnés aux hommes et aux femmes dans les différentes histoires, rôles qui véhiculent de nombreux clichés sexistes. Je m’étais donc dit que lorsque j’aurais un blog, cela constituerait un bon sujet d’article. En effet en terme de féminisme, je trouve qu’il est important de pointer des exemples concrets permettant de verbaliser précisément ce qui est dérangeant.

Dans cet article j’analyserai donc le film Love Actually de R. Curtis sorti en 2003 sous l’angle du sexisme, et ce sera également pour moi un bon prétexte afin de présenter les problèmes existant avec la conception arriérée de l'amour.

2. Attention, vieux mâles blancs en position !

Un des premiers aspects qui choque dans Love Actually ce sont les différentes histoires dans lesquelles un homme blanc âgé en position de pouvoir a une relation avec une femme plus jeune qui lui est professionnellement subordonnée :

Je profite de ce dernier point pour mentionner les remarques révoltantes du président des États-Unis, encore un homme blanc âgé en position de pouvoir, en référence à Natalie : My goodness, it's a pretty little son of a bitch right there. Did you see those pipes ?. Et la complète passivité de David face à ce comportement répugnant.

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Don't be one of those guys.

3. Une conception artificielle de l’amour

Voyons maintenant comment le film traite le sujet de l’amour hétérosexuel. L'exemple le plus emblématique est probablement l'histoire de Juliet, Peter et Mark. Pour rappel, Juliet et Peter se marient au début du film, tandis que Mark est le « meilleur ami » de Peter, mais aussi secrètement « amoureux » de Juliet.

Le déroulement de cette intrigue nous apprend tout d'abord que Mark semble éviter Juliet. Puis nous découvrons que lors du mariage de Juliet et Peter, Mark n'a filmé que Juliet. Juliet qui le constate en visionnant la vidéo du mariage donne alors la réplique suivante à Mark que je trouve extrêmement pertinente et sur laquelle je reviendrai: But you never talk to me. You always talk to Peter. You don't like me !.

Plus tard, nous arrivons à la fameuse scène durant laquelle Mark vient sonner chez Juliet et Peter, et montre à Juliet différentes pancartes sur lesquelles il a rédigé divers messages (notons encore une fois que Mark ne communique pas verbalement avec Juliet). Voyons déjà comment se poursuit cette scène censée être romantique: les premières pancartes disent With any luck, by next year I'll be going out with one of these girls.... S'ensuit une pancarte avec plusieurs modèles dénudés collés dessus... pas très romantique en fait.

Juliet rit pour les besoins du script, mais rirait-elle dans une situation analogue réelle ? Si on réfléchit au personnage de Mark c'est loin d'être drôle: Mark est un voyeur obsédé par la femme de son meilleur ami, maintenant doublé d'un pervers. En effet, si l'on pouvait présumer jusque là une éventuelle obsession artistique de Mark pour Juliet (nous découvrions dans une scène précédente que Mark était un artiste), cette scène balaye cette hypothèse puisque nous comprenons qu'en fait ce qui l'attire chez Juliet c'est probablement sa ressemblance avec des mannequins traditionnels.

S'ensuit alors la pancarte culte qui affiche To me, you are perfect.

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La femme parfaite selon Love actually: on ne lui parle pas.

Maintenant que ces éléments sont rappelés, je vais développer pourquoi je trouve cette conception de l'amour montrée dans le film particulièrement artificielle et erronée. (Je laisse de côté le comportement voyeuriste de Mark et sa positivisation1 par le film, car ce n'est pas l'élément qui m'intéresse le plus.)

Le premier élément qui me frappe, c'est le fait que Mark soit obsédé par Juliet et qu'il ne lui parle pourtant jamais. Alors que la communication devrait être la base de toute relation saine, le film nous montre exactement l'inverse. C'est problématique car cela signifie que Mark ne connaît en fait pas Juliet. Ne lui parlant pas, il ne peut connaître sa personnalité et il ne peut savoir ce que cela fait d'interagir avec elle. Tout ce qu'il connaît d'elle, c'est en fait son apparence. On en déduit que ce qu'il aime c'est donc une image fantasmée, idéalisée et très superficielle de Juliet.

Je trouve à ce propos la remarque de Juliet très juste lorsqu'elle dit à Mark qu'il ne lui parle jamais et que donc il ne l'aime pas. N'est-ce pas symptomatique de l'attitude qu'ont parfois certains hommes, certaines femmes, qui montrent du désintérêt ou un manque d'attention, aux personnes dont elles sont éprises. Comme s'ils confondaient les signes de dédain pour des signes d'amour2. En poussant la réflexion plus loin, ce comportement est également représentatif de la tendance des hommes à cacher leurs sentiments plutôt qu'à les exprimer, attitude « masculine » valorisée par la société.

Mais loin du monde préfabriqué du cinéma, à quoi conduit un tel refoulement des sentiments ? Lorsque la marmite finit par exploser, le risque c'est de voir une réponse extrême correspondant à des sentiments extrêmes. Dans la vie de tous les jours, Mark est-il un harceleur, un violeur en puissance ?

Le deuxième élément qui est interpellant, c'est le fait que Mark considère Juliet comme étant parfaite. En reliant ce choix de vocabulaire aux remarques précédentes, je livre l'interprétation suivante: Mark considère Juliet comme un objet de perfection, et non comme un être humain. Il s'agit d'un écueil commun des relations dans lesquelles l'autre est perçu comme étant indéfectible au sens littéral, c'est-à-dire n'ayant aucun défaut. La réalité cependant, c'est que nous avons tous des défauts. Admirer l'autre sans le connaître ce n'est pas aimer sa personne mais une fausse image que l'on a construite. Juliet a des défauts, mais Mark ne peut évidemment pas le savoir s'il n'interagit pas avec elle. Et on peut à juste titre se demander si Mark la vénérerait encore s'il la connaissait vraiment.

Ce qui me conduit au point final de cette analyse: l'aspect complètement égocentré de l'« amour » présenté par le film. En fait, le fétichisme de Mark envers Juliet ne concerne pas Juliet. Juliet n'est qu'un motif pour Mark qui lui permet de projeter ses propres attentes et fictions sur un support physique. Et on reconnaît là un autre lieu commun de la séduction masculine, c'est-à-dire une vision rétrograde de la femme qui n'est considérée que pour son apparence et dont la personnalité doit se plier aux exigences des hommes.

4. La méritocratie relationnelle

Cette superficialité et égocentricité de l'« amour » se reflète également dans l'histoire de Sam, l'enfant qui est amoureux d'une élève de son école, Joanna. Et que décide de faire Sam pour attirer l'attention de Joanna ? Va-t-il aller lui parler ? Non, il décide d'apprendre la batterie pour l'impressionner.

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Thanks, the plan didn't work tough.

Ici, nous voyons un autre comportement révélateur de l'« éducation sentimentale » que reçoivent les hommes: « Je dois faire des choses pour impressionner les femmes ». Cette position est criticable à plusieurs égards.

Tout d'abord, cela signifie qu'une personne ne se suffit pas à elle-même : « Je ne suis pas aimé pour ce que je suis (ma personnalité), mais je suis aimé... » :

Notons qu'encore une fois il s'agit d'une conception de l'amour à sens unique qui ne tient pas compte de l'autre: Je ne suis pas aimé pour ce que j'apporte à l'autre, et je n'aime pas pour ce que l'autre m'apporte. J'aime l'autre pour son apparence..

Ensuite, cette position conduit plus ou moins consciemment à une attente de résultat par rapport à l'acte qui est accompli, aux efforts qui sont déployés. Comme si cela ouvrait un droit à être aimé par l'autre personne. « J'ai appris à jouer de la batterie, donc j'ai droit à l'attention, à l'amour de l'autre. » Et quelle déception si la récompense ne suit pas !

Pour terminer, cela entretient le mythe selon lequel les actions spectaculaires à court terme valent mieux que les petits gestes quotidiens à long terme. Il s'agit d'un trope omniprésent dans les contes et dans les films: l'histoire s'arrête une fois que la femme est conquise par l'homme, histoire qui ne concerne finalement que l'homme et ses exploits pour mériter son dû.

5. L'éducation absentimentale

Je pensais clôturer ici mon article, mais en revisionnant les scènes avec Sam et Daniel, je suis tombé sur ce dialogue effarant :

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KAREN — Get a grip. People hate sissies. No one's ever gonna shag you if you cry all the time.
DANIEL — Yeah. Absolutely. Helpful.

On retrouve ici le typique big boys don't cry: un homme, un vrai, ne doit pas montrer ses sentiments (sauf la colère). Et la menace qui l'accompagne: la privation sexuelle.

Ce qui me choque le plus dans cette séquence c'est le caractère explicite du message. Comme si ces propos était tellement banals qu'on pouvait les exprimer sans aucun ambage.

5. Conclusion

20 ans après sa sortie, Love Actually est pour moi très difficile à revoir. Pour un film culte qui est censé représenter l'amour omniprésent, les rôles attribués aux différents personnages et les dialogues, dont certains particulièrement choquants, transpirent une conception sexiste et superficielle des relations.

C'est malheureusement en regardant ce genre de film que l'on comprend que toute une génération a été matraquée de messages patriarcaux et stéréotypés légitimant des comportements toxiques. Comportements toxiques qui commencent heureusement aujourd'hui à être considérés comme inacceptables.

En pointant les éléments dérangeants de ce film et en dévoilant leur crudité, je souhaitais sensibiliser à ces idées construites qui sont véhiculées par le cinéma. À quand un imaginaire collectif bienveillant et enrichissant de l'amour et des relations ?

1. J'entends par positivisation une banalisation via une atmosphère feel good: tous les acteurs sourient, sont complaisants, etc. et ce en dépit d'un comportement incommodant. 2. Attitude qu'il est intéressant de mettre en lien avec la manière dont un enfant est conditionné / éduqué par ses parents. Si ceux-ci montrent leur « amour » par, ou appellent amour, des comportements qui ne sont pas de l'amour, alors il est fort à parier que l'enfant devenu adulte reproduira les signes de ce qu'il pense à tort être de l'amour.